récit partagé dans la lettre d’information de juin 2016 de la Fondation Lotti Latrous, par Mme Latrous.

Aminata«J’étais assise avec notre médecin chef le Dr N’Da, dont le bureau est à côté du mien, à la fin d’une longue et difficile journée. Soudain, je vois une créature traverser la cour depuis le portail d’entrée et arriver vers nous. Je réalise, après quelques secondes que c’est une femme, rampant à quatre pattes. « Oh non, pas encore un drame, je n’en peux presque plus » me disais-je. La femme, habillée tout en noir, les mains dans des sortes de petites sandalettes et les genoux emballés de chiffons, se dirigea vers moi et s’assit à mes pieds.

« Bonjour, Madame Lotti. » Elle connaissait donc mon nom. « Bonjour Maman, comment t’appelles-tu ? » « Aminata. » « Bonjour, Aminata, est ce que je peux t’aider ? » « Non, Madame Lotti, je suis venue t’aider TOI. »

A peine sa phrase finie, elle ferme les yeux et commence à prier. Avec une telle intensité, calme, lumineuse, elle demande à Dieu de continuer à me donner la force et le courage pour pouvoir poursuivre cette œuvre humanitaire. Quand elle eut fini, je m’assis à côté d’elle, par terre, il fallait que je comprenne. « Aminata, n’as-tu pas de colère envers LUI? » « Mais pourquoi aurais-je tout cela, Madame Lotti ? » « Parce que tu as une vie tellement misérable qui t’oblige de marcher à quatre pattes comme un chien.»

Il fallait que je sache, il fallait que je provoque, il fallait que je comprenne. « Il m’a donné la vie, Il me donne la possibilité tous les jours de prendre soin de mes huit enfants et de mon mari aveugle. Chaque jour, quand je me lève, je LE remercie pour cette grâce ! »

« Comment, quand tu te lèves ? Tu ne peux même pas te tenir debout ! »

« Mais est-ce qu’il est forcément nécessaire de pouvoir se mettre debout pour avoir une vie digne ? »

« Et comment tu vis, alors ? »

« Tous les matins, je me roule sur le côté de ma natte pour me déplacer , je m’assois, je tourne la tête de gauche à droite, et de droite à gauche, et je prie. Je Le remercie de m’avoir donné la vie qu’Il juge juste pour moi. Ensuite je vais aux marchés et devant les mosquées et je prie. »

« Tu mendies alors. »

« Si tu veux appeler cela comme ça, moi, je prie afin que les gens se portent bien. »

« Et c’est cela qui te permet de survivre ? »

« Oui, cela me permet de nourrir ma famille. Mes enfants vont à l’école ! »

Rarement ai-je vu autant de fierté dans le regard d’une femme. « Aminata, tu ne veux vraiment RIEN de moi ? » « Non, Madame Lotti, je suis juste venue te dire merci pour tout ce que tu fais au nom de l’humanité. »

« Aminata, est-ce que tu as au moins un rêve, étant donné que ta vie te paraît en ordre ? » « Oui, Madame Lotti, j’ai un rêve. Et j’arriverai à le réaliser un jour, je suis sûre. Celui d’ouvrir un petit commerce à mon fils aîné. »

Elle m’embrassa, me remercia et quitta notre cour à quatre pattes. Une reine n’aurait pas pu avoir plus de fierté. « Aminata, reviens vite, on a besoin de personnes comme toi ! » Nous sommes restés encore longtemps assis là, en larmes, après avoir reçu une si belle leçon de vie. J’ai envoyé un de mes assistants sociaux chez elle le lendemain pour voir si tout ce qu’elle disait était vrai. Son mari aveugle et souffrant de la prostate n’a pas non plus eu une seule parole amère. Ils ont du retard de leur misérable loyer, mais elle ne m’aurait pas demandé, c’est NOUS qui lui avons proposé de l’aide. Cela n’a pas offensé sa dignité. Et c’est tout simplement ça aussi, notre but, sauvegarder la dignité des êtres humains, aussi pauvres soient-ils

http://www.lottilatrous.ch/images/160620_Brief_F.pdf