Il y a bien des années j’habitais au Sénégal. Je vivais sur une plage entre deux bidonvilles. J’étais très ami avec le fils de l’imam d’un des deux bidonvilles et un dimanche après-midi je décidai d’aller demander à l’imam comment l’Islam définissait Dieu. A l’époque j’étais membre d’un petit mouvement chrétien qui affirmait détenir la plus haute, si ce n’est l’ultime, révélation de la vérité. J’étais donc très sûr de détenir la plus haute perspective sur cette question.

Comme je traversais la plage pour aller à la frêle baraque de l’Imam Sall, mon esprit devait refléter le proverbe japonais qui dit : “il est difficile de décrire les vastes horizons de l’océan à la petite grenouille assise au fond de son puits.” Mon puits à moi était bétonné avec sa colle de suffisance spirituelle – pas exactement la situation idéale pour un explorateur spirituel (que je suis heureusement devenu depuis). L’Imam Sall m’accueillit avec sa gentillesse et sa douceur habituelles. Je m’assis et lui posais ma question : comme l’Islam définit-il Dieu ?

La petite grenouille en moi eut la surprise de sa vie quand il me répondit : “Pierre, si tu prenais l’eau de tous les océans et tous les lacs, de toutes les mers et toutes les rivières de la terre entière comme encre, et si tu prenais les branches de tous les arbres de la planète comme plumes, tu n’arriverais pas à écrire tous les noms de Dieu.” En d’autres termes, aucun mot ne peut embrasser quelque chose d’aussi extraordinaire, d’aussi inépuisable que la Déité. Et puis il ajouta “Tu sais, Pierre, tu es un meilleur musulman que la plupart des musulmans qui m’entourent.” Par quoi il voulait dire que je ne buvais pas d’alcohol, que je ne couurais pas après les femmes, que je donnais généreusement de mes revenus.

Le poète américain Ed Markham a une fois écrit :

“Il dessina un cercle qui m’exclut :
Hérétique, rebelle, quelqu’un a rejeter,
L’amour et moi eûmes l’humour de gagner :
Nous dessinâmes un cercle qui l’inclut.”

Merci, Imam Sall, de m’avoir appris une des grandes leçons de mon existence. Merci, Sall, de m’avoir inclus.

A une époque où les mentalités en Occident sont si souvent en armes contre les musulmans, il est bon de se rappeler qu’il existe bien des imams Salls parmi nos frères et sœurs de confession islamique. Il existe une traduction d’un ancien texte araméen (la langue de Jésus) qui donne du Second Commandement la version suivante: “Tu aimeras ton prochain parce qu’il est toi-même.”

Quand je maudis mon frère, je me maudis moi-même. Si je bénis mon frère, je me bénis moi-même. Alors, sachons choisir la bénédiction.

Pierre Pradervand

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