Grèce. À Tilos,D’après un article de Pavlos Kapantais, 5 aout 2017, Humanité Dimanche

C’est l’histoire d’une petite île grecque perdue quelque part dans la mer Égée. Avec à peine 500 habitants, Tilos a décidé de devenir le havre de ceux qui ont dû quitter leur patrie pour rester en vie.

Maria Kamma, 47 ans, est la maire et l’âme de Tilos. Débordante d’énergie, enthousiaste et pleine d’humour, elle dégage une impression de volonté inébranlable. Élue en 2014, elle a déjà laissé une trace indélébile sur la vie de l’île. Encartée au Pasok (parti socialiste grec) depuis plus de vingt-cinq ans, elle force le respect de tous, même ceux qui pourraient la voir comme une adversaire politique. Les quelques militants de Syriza qui vivent sur l’île la saluent d’un simple « camarade ». Mais tout ce que fait Maria s’inscrit dans la tradition de solidarité des habitants de Tilos

Peuplée d’à peine 500 habitants, l’île de Tilos défraie la chronique depuis longtemps. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fut une des très rares à pouvoir encore nourrir sa population malgré l’occupation allemande. Elle accueillit nombre de réfugiés locaux, venus des îles voisines où régnait la famine. En 2007, le maire y célébra le premier mariage homosexuel de l’histoire de la Grèce. Il sera annulé par les tribunaux, un mariage entre personnes du même sexe n’étant alors pas reconnu par la législation. Mais cet acte va lancer le débat qui amènera au changement de la loi en 2015. En juin 2017, Tilos a reçu deux prix de la part de la Commission européenne : le premier prix dans la catégorie                « îlots énergétiques » des prix européens de l’énergie durable, ainsi que le prix du public. Elle est à deux doigts de devenir la première île grecque indépendante énergétiquement, après avoir fortement investi dans les énergies renouvelables, solaire et éolienne ces dernières années.

Cela fait maintenant sept ans que l’île reçoit un flux de réfugiés plus ou moins constant. Les premiers arrivèrent en 2010. En 2014, comme en 2015, Tilos va à plusieurs reprises accueillir le double de sa population en l’espace de quelques jours… Au lieu de voir ces nouveaux venus comme un danger, les habitants de Tilos vont utiliser les bâtiments vides pour les accueillir et les intégrer. Les habitants de Tilos se portent alors volontaires pour accueillir d’autres réfugiés. Maria Kamma nous raconte : « Quand j’ai appelé le ministère pour leur dire que l’on souhaitait qu’on nous envoie des familles réfugiées, ils ne m’ont pas vraiment crue, ajoutant que notre île était tellement petite que cela n’était pas nécessaire ! Mais on a insisté. » L’idée est lancée de transformer le camp de premier accueil en camp pour les « cas vulnérables », c’est-à-dire les familles avec de nombreux enfants en bas âge et sans moyens. Idée acceptée avec enthousiasme par les locaux, et approuvée de nouveau par le conseil municipal à l’unanimité. Le camp est placé sous l’égide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

C’est ainsi que les premières familles arrivent des quatre coins de la terre à la fin du printemps 2016. « Dès le début, notre but a été de les intégrer, pas juste de les nourrir et de les loger », explique Eleni. Sont mis en place immédiatement des cours de grec et d’anglais pour les enfants et les adultes. « S’ils restent en Grèce, à Tilos ou ailleurs, le grec leur sera nécessaire, et l’anglais plus qu’utile. S’ils partent vers d’autres pays européens, au moins, ils auront appris l’anglais, ce sera pour eux un atout.» C’est dit avec une facilité déconcertante, mais tous les habitants du camp le savent : s’ils veulent rester sur l’île pour toujours, ils sont les bienvenus ! Cette attitude unique amènera de nombreux volontaires de passage ainsi que le soutien officiel du gouvernement.

Entrer dans le centre d’hospitalité de Tilos, c’est un peu rentrer dans une colonie de vacances où les tentes seraient remplacées par des conteneurs. Des enfants souriants courent à droite et à gauche et s’amusent d’un rien. Outre les langues, dans le camp, on enseigne le chant et la musique, on fait du dessin, de la peinture et parfois aussi du yoga. Les enfants jouent aussi au foot avec ceux de l’équipe locale. Une grande partie de ces activités sont spécialement conçues pour aider enfants et adultes à dépasser les traumatismes parfois très profonds qu’ils portent en eux. Et puis, aussi, on essaie de trouver un travail à tous ceux qui le désirent.

En tout, 46 Syriens sont logés dans le camp, dont 26 enfants de moins de 15 ans. Certaines familles ont déjà reçu l’asile, d’autres l’attendent. «Il faut trouver un travail pour ceux qui veulent. Pour les femmes, c’est une émancipation» dit Eleni, responsable du centre d’accueil. Quand on lui fait remarquer à quel point son attitude et celle de toute l’île sont exceptionnelles, elle soupire. « Nous ne sommes pas des êtres exceptionnels. Nous avons juste fait le strict nécessaire que nous impose notre humanité commune. »  https://www.humanite.fr/grece-tilos-un-ilot-dhumanite-dans-un-continent-cadenasse-639918