Pierre Pradervand

A l’époque de cette expérience, j’étais sur mon ancien chemin spirituel, une des rares formes de non dualisme chrétien, que j’ai suivi pendant 40 ans. La fondatrice de ce mouvement, une métaphysicienne américaine remarquable du 19è siècle, affirmait que c’était la plus haute révélation reçue à ce jour – une affirmation très lourde à porter. Le mouvement, basé sur un ouvrage spirituel puissant, était organisé de façon très rigoureuse et surtout était très fermé à toute influence extérieure.

J’habitais au Sénégal, et vivais entre deux bidonvilles à l’extérieur de la ville, sur le bord de mer. Un dimanche, je me suis décidé à aller rencontrer mon voisin l’imam Sall du bidonville de Hann-plage pour lui demander comment l’islam définissait Dieu. J’étais tellement certain d’avoir LA meilleur définition au monde, puisque donnée par notre fondatrice. En longeant la plage pour aller chez l’imam, mon état d’esprit avoisinait celle de ce proverbe japonais qui dit: « Il est très difficile de décrire les vastes horizons de l’océan à la grenouille assise au fond de son puits »,  car la petite grenouille en moi était tellement confortablement installée dans ses certitudes figées.

En arrivant chez l’imam, je fus comme d’habitude reçu très courtoisement et après les salutations usuelles, je lui posai ma question: « Imam Sall, comment est-ce que l’Islam définit Dieu ? »

La petite grenouille en moi eut la surprise de sa vie quand ce dernier me répondit de sa douce voix:  “Pierre, si tu prenais toutes les branches de tous les arbres de la terre comme plumes et les eaux de toutes les mers et rivières, de tous les océans, lacs et ruisseaux comme encre, tu n’arriverais pas à écrire tous les noms (les qualités) de Dieu. » La petite grenouille en moi était bouche bée.

Puis il continua en me disant: « Pierre, tu sais, tu es un meilleur musulman que la plupart des musulmans qui m’entourent ». Par là il voulait dire que je ne buvais pas et ne courrais pas après les belles filles (contrairement à la plupart des jeunes coopérants de l’époque) et que je donnais généreusement (l’islam prescrit la Zâkat –  la dîme – à tout croyant qui en a les moyens).

Un poète américain, Edwin Markham a écrit un petit poème qui dit:
Il dessina un cercle pour m’exclure,
hérétique, rebelle, un être à rejeter.
L’amour et moi eûmes l’humour de gagner:
nous dessinâmes un cercle qui l’incluait.

J’avais dessiné un cercle peureux qui excluait l’imam.  Il dessina un cercle plus généreux qui m’incluait.

Merci, Imam Sall, pour ce qui fut une importante leçon dans ma vie.