Durant mes années en Afrique,  j’ai une fois passé une soirée sur les rives du Niger à Segou, au Mali. Tout  irradiait de paix et un rythme tranquille : les pécheurs qui jetaient leurs filets dans la rivière, les femmes qui rentraient à la maison en plaisantant entre elles, la cadence lente des vaches avec leurs cornes énormes … l’atmosphère elle-même dégageait la douceur et la sérénité. Cela me rappela le titre du livre (en anglais) par l’auteure américaine Barry Stevens: Ne pousse pas la rivière, elle coule toute seule.

Dans l’hémisphère nord et de plus en plus dans les pays du sud, nous avons fait exactement le contraire: nous essayons frénétiquement de pousser la rivière car, dans notre notion malade du temps, non seulement le temps est devenu de l’argent, mais aussi un exploiteur qui pousse une civilisation entière à la folie. Une grande multinationale aux USA offre maintenant une livraison à domicile dans l’espace d’une heure pour certains de ses produits. Pourquoi pas 30 minutes ? Ou même hier ?

Une très chère amie me racontait  récemment que sa fille, une femme dans la quarantaine, avec une bonne éducation et un poste à responsabilité dans une organisation environnementale, lui a dit un jour: «Maman, je n’ai pas le temps de vivre !»

Quel commentaire tragique, presque incroyable et que tellement de personnes dans le Nord pourraient répéter !  Trop de nos contemporains ne vivent pas, ils se courent du matin au soir. Trop souvent ils sont,  soit dans le passé des regrets, des remords, de la rancœur, des occasions manquées ou alors dans le futur des peurs, des échéances de travail, des listes de tâches à faire, des besoins urgents, des espoirs de faire mieux un jour … mais ils sont rarement dans le moment présent.

Et pourtant la vie spirituelle ne peut pas être vécue dans le passé ni dans le futur, et encore moins dans la hâte.  A moins que nous n’apprenions à  vivre dans le moment présent, nous ne vivrons jamais et surtout pas spirituellement,  comme la fille de mon amie l’exprimait d’une manière si émouvante. Ecouter la Divinité (non pas lui parler ou lui demander quelque chose – Elle n’est pas un Père Noël bienfaisant)  est au cœur même de la vie spirituelle. Alors soyons très clairs : il est très difficile d’entendre Dieu dans la hâte, ou même lorsqu’on est stressé – sauf dans de rares cas de grandes urgences.

Pour une mère cheffe de famille avec trois enfants qui se débat chaque mois pour joindre les deux bouts, c’est une affirmation presque cruelle,  surtout si elle vit dans un bidonville du Tiers-Monde. Alors jusqu’à ce que nous ayons créé une nouvelle culture et une nouvelle société, moins trépidantes, peut-être que d’autres formes de spiritualité doivent émerger, comme par exemple le «dawling ». C’est un terme que j’ai inventé il y a beaucoup d’années et qui signifie (en anglais) : Doing All With Love (Faire Tout avec Amour). Si je devais résumer  ma spiritualité en une seule phrase, ce serait cela: penser avec amour, voir tout avec les yeux de l’amour, parler avec amour, faire tout ce que nous avons à faire avec amour et ne ressentir que l’amour.

Ceci est au cœur de mes efforts et de ma pratique spirituelle et je crois que si une personne arrivait à vraiment vivre cela avec un engagement total (j’en suis tout juste à l’école enfantine de cette pratique), elle atteindrait  le même résultat qu’avec  des heures consacrées à la méditation, au jeûne, aux études et autres pratiques spirituelles traditionnelles.  Et peut-être même plus encore.

Alors, si vous êtes une mère célibataire ou un cadre, un vendeur – ou une secrétaire à qui le chef délègue de nombreuses tâches qui sont toujours ‘extrêmement urgentes’ – pourquoi ne pas essayer ?

Vous pourriez découvrir que les verts pâturages (ou le Niger à Segou) sont déjà en vous.

Pierre Pradervand

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